GAULOIS SOLITUMAROS
PAR
Pierre-Yves LAMBERT
Jusquâà une date récente, Solitumaros restait un sujet de perplexité pour tous les celtisants. Bien sûr, la présence dâun second élément -mÄros, adjectif signifiant « grand » , faisait lâunanimité, mais le premier élément restait largement obscur. Tout au plus pouvait-on parfois comparer un composé de même type, avec un premier élément abrégé, Solimarus (et Solimara).
Une étude récente1 de D. Gricourt, D. Hollard et F. Pilon a avancé lâhypothèse quâil sâagirait du nom de lâoeil : ils comparent irl. súil « vue, vision » , et font remarquer que Mercure est représenté avec de grands yeux, notamment dans des figurines de bronze provenant du même site que lâépithète Solitumaros : Châteaubleau (Seineet-Marne). Il convient en premier lieu de rappeler le point de vue du comparatiste. Solitumaros
appartient à une série bien attestée de composés formés dâun substantif + lâadjectif mÄros, que lâon classe généralement parmi les « bahu-vrÄ«hi inversés » 2,
car lâordre normal de ce composé était : adjectif + substantif (type latin multi-color
« qui a de nombreuses couleurs » ). Il est sémantiquement distinct dâun autre type, constitué lui aussi de la même séquence, adjectif + substantif, mais sans lâeffet de sens possessif qui caractérise les bahuvrÄ«hi: type gaulois Novio-dunum « Nouveau fort » . Le bahuvrÄ«hi dans lâordre normal des éléments nâest pas sans exemple dans les langues celtiques, cf., en gaulois même, Maro-mogius et Mari-mogius, en face de
Mogeti-marus, tous épithètes de Mars. Mais lâordre inverse est si fréquent que certains adjectifs, comme mÄro-luimême, sont devenus des suffixes de dérivations en celtique insulaire: câest le cas par exemple pour les correspondants irlandais et gallois de -mÄros, gall. moy. gwerthfawr
« qui a grande valeur » , et irl. greannmhar « spirituel, plein dâesprit » . Câest ainsi que lâon trouve en vieil-irlandais srón-mar « qui a un grand nez » , súl-mar « qui a de grands yeux » etc.
1. Daniel Gricourt, Dominique Hollard, Fabien Pilon, «Le Mercure Solitumaros de Châteaubleau (Seine-et-Marne) : Lugus macrophtalme, visionnaire et guérisseur » , Dialogues dâHistoire Ancienne [ Université de Franche-Comté], 25/ 2, 1999, 127-180. 2. Voir Karl Horst Schmidt, «Die Komposition in Gallischen Personennamen » (= KGP), ZCP
XXVI, 1957, 33 s. Cet auteur, ibid. p. 67, hésite entre lâanalyse par un bahuvrÄ«hi inversé (Bussumarus,
der, dessen Mund gross ist), et lâanalyse par un tatpuruá¹£a (Brogi-marus : der gross ist im Bezirk, oder an Land). â Nous avons suivi lâanalyse préconisée par Stefan Zimmer, Studies in Welsh Word-formation, Dublin, 2000 : cf. p. 176 s., les «Reversed BV compounds » , qui comprennent en particulier tous les adjectifs composés avec -fawr, p. 191 s.